96 ans au mois de novembre prochain. Lucidité, vivacité d’esprit, tels sont les maîtres mots qui frappent son interlocuteur ! Parler avec Armand, c’est bien sûr toute l’histoire du 20° siècle, et toutes ses vicissitudes qui défilent en quelques instants. C’est aussi l’histoire du village et de la vigne à laquelle Armand a consacré une très grande partie de sa vie. « C’est ma 84° vendange » me lance-t-il, droit comme un "i" !

 

En effet Armand Julien est entré à 12 ans dans ce métier. Il travaille avec ses parents dans quelques vignes provenant de l’héritage familial. Puis, le domaine s’est agrandi avec l’acquisition de quelques parcelles. Et Armand me livre quelques souvenirs, la pénibilité du travail, entièrement manuel., les conséquences de la première guerre mondiale : « Je me souviens avoir vu ma mère, le bidon dans le dos, sulfater les vignes en l’absence de mon père mobilisé, mais elle vendait le raisin, ne pouvant physiquement faire le vin » . Les mauvaises années, la mévente du vin due à la concurrence effrénée des vins du Midi et d’Algérie, n’étaient pas étrangères non plus à la situation précaire des vignerons ; « On ne vendait rien, on ne voyait pas de courtier, le coteau était planté en grande partie en gamay, sauf quelques parcelles en pinot, appartenant à quelques propriétaires aisés » Il m’explique qu’il fallait intervenir auprès de l’un de ces propriétaires visité par les courtiers pour se faire connaître. Et d’ajouter : « J’ai vu mon père, monter des quartauts de vin avec une brouette à la cantine des carrières ! » Quand on connaît le chemin pentu et malaisé de l’époque !

 

Témoin de la crise économique des années 1930, Armand a creusé, en compagnie d’autres vignerons nécessiteux, des tranchées nécessaires à la construction d’égouts pour le compte de la commune.

 

Autre tragédie de l’histoire dont Armand a été victime: En 1939, il est mobilisé, mais échappe à la capture en 1940. Le 21 août 1944, lors de la nuit tragique, avec son épouse, Marthe, il s’enfuit furtivement par le jardin situé derrière sa maison et se réfugie à Premeaux, le village voisin et Armand poursuit : « Quand je suis revenu, au petit matin, je n’avais plus de maison, mais ma cuverie était épargnée ; ils avaient mis le feu dans de la paille mélasse que je donnais à mes lapins et dans un sac de vitriol (sulfate de cuivre). La viticulture, activité économique reconnue utile par la Nation, sa maison est reconstruite rapidement.

Après la seconde guerre mondiale, c’est une ère nouvelle, qui s’ouvre et qui va contraster fortement avec ces quatre premières décennies du siècle.. Le travail se mécanise lentement. Dans les années 1950, Armand achète sa première voiture, une camionnette Peugeot 203 bâchée « pour aller aux vignes »

 

Comme de nombreux vignerons, il va « faire de la bouteille » favorisé par l’apparition de l’appellation « Vins fins de la Côte de Nuits » puis de « Côtes de Nuits Villages » Une aisance financière s’installe, le domaine s’agrandit, et Armand va transmettre petit à petit le flambeau à son fils Gérard.

 

Hélas ! Toute cette vie de labeur a été gâchée en 1989 par le décès de son épouse, Marthe, à la suite d’une longue maladie. « Je me suis occupé d’elle pendant 12 ans » me dit gravement Armand. Heureusement, la naissance de son petit fils va l'aider à surmonter ce grand chagrin. Il coule aujourd'hui des jours de repos bien mérités, entouré par son fils Gérard, sa belle fille Ghislaine et son petit fils Etienne qui habitent tout près. En bonne santé, il se plaint simplement d’avoir un peu mal aux jambes ; à la belle saison, il va « un peu sur le chemin derrière chez lui, voir les raisins ». Il fait également un tour, surtout en cette période de vendanges, dans la cuverie pour s’informer sur l’état des raisins et donner encore quelques conseils. C’est d’ailleurs lui, ma confié Gérard, qui consigne sur un carnet les caractéristiques de chaque cuvée, et calcule, sans machine, qu’il possède pourtant, ce qu’ il y a lieu de faire en fonction des analyses pratiquées par les laboratoires d’œnologie.

Il prépare ses repas, fait sa lessive, lit le journal, regarde la télévision, s’intéresse aux manifestations sportives, en un mot à toute l’actualité qu’il commente avec clairvoyance.

 

Comme quoi, le bon vin consommé avec modération, bien sûr, peut être un élixir de jeunesse !

A 96 ans, bientôt, que demander de plus ? Et quoi ajouter ?

 

A bientôt Armand ! Et continuez de nous étonner encore longtemps !

 

Jacky Cortot