Nos carrières : un développement spectaculaire (1872-1899)

Après une longue période d’exploitation pratiquement artisanale, la commune de Comblanchien diffuse par l’intermédiaire des journaux professionnels, des avis d’adjudications sur les villes de Paris et Lyon. De grands exploitants vont s’intéresser à la pierre de Comblanchien, reprendre d’anciennes carrières et en ouvrir de nouvelles.

En septembre 1872, la Société Civet Fils et Cie à Paris ouvre deux carrières, l’une dite carrière des Bois, le long du chemin de Comblanchien à Villers la Faye, l’autre aux Vaucrains au nord de la carrière Carpentier, dont Civet reprend le bail. En 1892, cette carrière ne sera pas relouée faute de preneur. En septembre 1886, le bail de la carrière des Bois est cédé à Jules Lagny qui a repris en 1873 l’ancienne carrière Finet-Fort louée en 1861. La Société Civet n’est plus locataire de la commune, et cette situation durera jusqu’en 1926.

Jules Lagny est originaire de Belgique, et propriétaire à Comblanchien. C’est un patron autoritaire, très 19° siécle, mais très compétent. Ses qualités professionnelles lui amènent de nombreux débouchés, aussi cherche-t-il toujours à agrandir ses concessions en offrant à la commune des sommes assez substantielles. En effet Jules Lagny n’aime pas la concurrence : le 17 février 1892, réagissant à la location d’une carrière à Renard et Fèvre (voir ci-après ) il écrit au maire de Comblanchien : « Permettez- moi de vous faire remarquer, que je ne paie pas à la commune de Comblanchien 18.000 frs de loyer par an, pour que vous ayez le droit de me poser des concurrents comme il vous le plaira ».

Le premier véritable empire de la pierre à Comblanchien, sans interruption jusqu’en 1947, c’est, en 1892, l’arrivée de Renard et Fèvre à Chassignelles (Yonne ) qui devient Fèvre et Cie en 1895. Cette société ouvre deux carrières, l’une à l’emplacement de l’actuelle carrière A ( Les Pierres Bourguignonnes ) , l’autre au sud de la carrière de la Combe louée à Lagny avec accès par le chemin de Comblanchien à Villers la Faye ( ancienne décharge ) . Montant des locations : 1.500 et 600 frs l’an .

Autres exploitants qui vont jalonner l’histoire des carrières, ce sont Messieurs Lanne et Pagani à Paris et Lézinnes ( Yonne ) qui deviendront plus tard Pagani et Cie. En 1884, ils reprennent l’ancienne carrière Bazin que ce dernier sous louait à Léon Bénier de Lézinnes. Cette carrière est la plus proche du chemin de Chaux et située à sa gauche. Le locataire, après quelques années d’interruption exploitera cette concession jusqu’à la fin des années 1950

Toutes ces entreprises exploitent déjà d’autres carrières dans d’autres régions de France.

Quant à l’exploitation, elle est peu mécanisée: grues à tambours et treuils, appelés aussi « crapauds » sont actionnés par la main de l ’homme. Des chevaux sont aussi utilisés pour la traction des blocs sur l’aire des carrières, et le transport à la gare de Corgoloin, ou jusqu’à Chassignelles pour Fèvre et Cie ! Jules Lagny, possède en 1893 19 chevaux qui logent dans des écuries proches du château qu’il fait construire dans les années 1890, ainsi que des maisons pour loger son personnel. Pagani possède quatre chevaux ,et Renard et Fèvre cinq.

Deux usines de sciage se construisent : l’une par Pagani à Comblanchien, route de Corgoloin, avec logements , ateliers et bureaux (emplacement HLM aujourd’hui.) l’autre, par Fèvre et Cie, actionnée par des machines à vapeur, en face de la gare de Corgoloin où il bénéficie d’un embranchement particulier ( aujourd’hui Rocamat ). Cette société a installé également, au sud de sa carrière un chantier de taille de pierre, avec hangar en bois, citernes en pierres (actuellement dépendances maison Mielniczuk) Des vestiges étaient encore visibles jusque dans les années 1940. Chaque carrière occupe aussi un forgeron appelé « magnien ».

L’extension fulgurante des carrières nécessite de la main d’œuvre, et attire de nombreux travailleurs. Tout d’abord ce sont des ouvriers étrangers, célibataires principalement, moyenne d’âge, 32 ans. En 1876, on dénombre 15 sujets suisses italiens, dont les frères Rossi arrivés en 1861, 5 italiens, un belge. Vingt ans plus tard, les effectifs ( ceux qui résident uniquement à Comblanchien) sont les suivants : 62 ouvriers français, 52 suisses, 2 italiens, 5 autrichiens. A cette époque la population s’élève à 543 habitants., contre 301 en 1866. Comblanchien vit donc au rythme des carrières avec ses avantages, mais aussi beaucoup d’inconvénients, la suite des évènements va nous le démontrer.

Au début des années 1880, ce sont des ouvriers français qui nous arrivent des régions pauvres du sud-ouest et sud-est du Massif Central. La région Rhone-Alpes, la Corrèze et le département de l’Ain fournissent les plus gros effectifs.

A la fin de ce siécle, Comblanchien n’échappe pas à la révolution industrielle et sociale qui surgit dans les régions à forte concentration ouvrière, surtout lorsque cette classe sociale est assez cosmopolite ! C’est une des préoccupations du gouvernement, qui, le 18 février 1892, publie un décret portant réglementation de l’exploitation des carrières, en matière d’ouverture, de salubrité, d’accidents du travail très nombreux et souvent mortels. Les maires étant mis à contribution, Armand Gilles-Charlier demande au Service des Mines de lui faire un rapport complet sur le travail en carrière pour les mois d’avril et mai 1894. Ce document est accablant pour les maîtres-carriers.

En ce qui concerne les trois carrières exploitées par Jules Lagny, inclus celle de Corgoloin dite « Barberet », on apprend que sur 240 ouvriers, il y a 17 enfants de moins de 18 ans pour lesquels la loi n’est pas respectée : les 60 heures de travail hebdomadaires sont dépassées. Ils affirment ne pas faire de travaux pénibles, mais doivent « monter au chantier » le dimanche matin, alors que la loi interdit le travail le jour de repos hebdomadaire. Des observations sont faites, mais sont- elles respectées ?

De son côté, le monde ouvrier demande que des mesures sociales soient prises, afin d’améliorer les conditions de travail, et mieux répartir les fruits qui en découlent . Pour ce faire, le Syndicat des Ouvriers carriers de Comblanchien est créé le 1° août 1892. Bien entendu, les maîtres-carriers sont farouchement hostiles à la constitution de ce syndicat. C’est Jules Lagny, qui, n’embauche que du personnel non syndiqué, en lançant à la moindre occasion, de même que ses collègues employeurs « J’embauche qui je veux ! »

L’antisyndicalisme n’est pas la seule bête noire du patronat. Les leaders anarchistes sillonnent les carrières et « remontent les ouvriers contre le patron ». La présence étrangère, principalement italienne, est très mal tolérée, surtout par les ouvriers français qui voit en elle du personnel docile à l’égard du patronat, qui ne manque pas de vanter ses qualités professionnelles.

Cette dernière décennie du 19° siècle est émaillée, inévitablement, de plusieurs conflits sociaux, et les énumérer tous seraient fastidieux. Le dernier du siècle s’est déroulé su 18 juillet au 3 août 1899 : 418 ouvriers( y compris les carrières Javelle de Corgoloin) se sont mis en grève, pour obtenir des augmentations de salaires.

La population soutenant les grèvistes, le Sous-Préfet de Beaune, craignant des troubles sur la voie publique, envoie force gendarmes, logés et nourris dans une auberge du village, et ce, à la charge de la municipalité. Il vient souvent lui même arbitrer la situation avec le Juge de Paix du canton de Nuits, et en présence du Conseil municipal. A chaque conflit le même scénario se met en place : c’est « Germinal » à Comblanchien et Emile Zola aurait pu y situer l’action de son célèbre roman !

Dans ce paysage social tourmenté, un événement inattendu bouleverse le monde des carrières. Le 13 décembre 1894, Jules Lagny décède à Paris, où il s’était rendu pour raison de santé. Le 13 janvier 1895, au cours d’une cérémonie religieuse à l’église de Comblanchien, l’abbé J.R. Garraud lui rend hommage en déclarant : « Sous une écorce un peu rude, utile, et souvent nécessaire, dans un commerce journalier avec quatre ou cinq cents ouvriers de nationalités différentes, il cachait un cœur bon et généreux ». A chacun son appréciation !!

Sa fille Emma, 35 ans, future Madame Deslandes, assure maintenant sa succession. Mais la vie dans un château, entourée de serviteurs, dames de compagnie et professeur de piano, n’est pas compatible avec des soucis professionnels, aussi transmet-elle le bail de ses carrières à l’un de ses employés, qui occupe la fonction de commis-architecte, Emmanuel Sauvain, propriétaire de carrières à Corgoloin.

Une page de l’histoire des carrières se tourne. Nous en aborderons une autre dans le prochain bulletin municipal : 1900à 1939.

Jacky Cortot