Le témoignage inédit de Madame Hilda GILLES

 

L’un de nos internautes, Monsieur Bernard PERRIN, fils d’Henri PERRIN, originaire de Comblanchien, grande figure de la Résistance, déporté, miraculeusement rescapé de l’enfer de Buchenwald ( décédé en 1998 ), nous a transmis deux lettres que Madame Hilda GILLES adressait à la famille Perrin, propriétaire à Comblanchien en 1944, sinistrée, et dans lesquelles elle décrivait la nuit tragique du 21 au 22 août 1944, vécue par la famille Gilles et les habitants du village, ainsi que son sinistre bilan .

Témoignage recueilli « à chaud », d’une valeur historique certaine, nous publions, avec l’accord de Madame E. MILLOT de Comblanchien, la lettre du 16 septembre 1944, qui retrace également les évènements survenus au village, durant les quelques jours qui ont précédé sa libération, le 8 septembre:

 

  « Comblanchien 16 septembre 1944

 

 

                                           Mes chers tous,

Je profite de ce que Marcel Gérard retourne à Lyon pour vous faire parvenir cette petite lettre. J’espère que vous êtes tous en parfaite santé, et que rien de grave ne vous est arrivé depuis vos dernières nouvelles. Je vous ai écrit le 22 août, lendemain de notre nuit tragique, qui a été, comme je vous l’ai dit sur ma lettre qui ne vous est pas encore parvenue, le massacre de la Saint Barthélemy, nuit d’horreur, enfin nous sommes sains et saufs, nous allons très bien. Nous sommes libérés depuis vendredi 8 septembre, jour de la Nativité de la Sainte Vierge, et nous respirons depuis dimanche, car à Nuits, les Boches tenaient ; ils avaient placé des pièces d’artillerie. Ici, à Comblanchien, nos soldats ont attendu qu’ils se décident à évacuer la ville pour éviter les dégâts. Samedi soir vers sept heures, douze chars de 35 tonnes sont venus arroser la montagne de Nuits avec des 75 longs, ce qui les a fait réfléchir, et ils sont partis dans la nuit. Nuits Saint Georges a été délivré dimanche matin à sept heures.

Maintenant, revenons à notre nuit tragique. Lundi 21 août à dix heures moins un quart, sans motifs, sans raisons connues jusqu’alors, Comblanchien est attaqué ; on entend mitraillettes, fusils-mitrailleurs. Sur le coup, on pense que c’est à cause du camouflage. Tout le monde éteint les lumières ; cette canonnade dure environ cinq à dix minutes. Les enfants, René descendent à la cave ; moi, je reste avec maman qui est au lit et malade, ensuite le calme. Tout le monde se prépare à se coucher. Après cinq minutes de calme, cela recommence. Nous pensons que c’est la résistance qui attaque les Boches du château. A ce moment, nous voyons les grenades incendiaires, et les incendies commencer aux quatre coins du pays.

Sergent, le premier, brûle. Durand, son hangar et toute sa récolte de blé : cinq cents sacs. A ce moment nous descendons tous à la cave. Les enfants balancent par les fenêtres le linge, couvertures, nous vidons les armoires de partout, un fracas terrible !

France, Monique et Jeannette descendent en courant, en chemise de nuit, nous disant que la maison brûle, et qu’ils veulent tuer Louis. Ils mettent le feu, maison par maison. Ils commencent chez Monsieur Blanc à Prissey jusque chez Ravigneau, tuent Monsieur Blanc, blessent sa fille, tuent Monsieur Henry et son fils, cassent brisent tout et mettent le feu. Naturellement, les deux maisons de maman sont brûlées !

On compte cinquante deux maisons incendiées, deux cents sinistrés ; Ils ont mis le feu chez Perrier, le bâtiment de la commune, chez Monsieur Gilles Aurélien, chez Gaston Cartalade, Da Rold , Pagani( quatre maisons de brûlées), et, dans la rue en montant chez Arthur Tournois, la coop. Chez Lieutard, ils brûlent la maison et tuent Monsieur Lieutard. La mère Chapuzot et Mathilde sont tuées. Simonnot est tué, ainsi que Marcel Julien chez Durand. Le hangar Taccard avec toutes les récoltes, ainsi que notre chariot de vesces qui devaient être battu le lendemain. Chez Gabriel Perrier, et Berthe Nosenzo tout a brûlé. Les deux maisons d’André Liger et son cheval ont brûlé. Tout, tout…

Notre pauvre église a brûlé le matin vers neuf heures ; le clocher en tombant a enflammé les portes et les bancs. Le tout est dans un triste état. Nous avons eu plusieurs fois, Américains et Anglais qui ont photographié le pays pour films et documentaires

Les Boches ont donc fait le tour du pays. Quand ils sont venus chez nous, nous étions à la cave, toutes les portes étaient fermées ; ils disaient : « Ouvrez, c’est la force armée ! » ; Nous n’avons pas bougé, ils ont enfoncé le portail, ensuite la porte de devant. Ils ont monté dans toute la maison ; ils ont pris deux gros jambons que Paul m’avait rapporté de Nuits, la veille, dans mon mannequin. Je crois qu’ils avaient une voiture, et qu’ils y mettaient ce qu’ils pillaient ! Ils ont dû prendre du marc dans une bonbonne ; ils ont pris la montre de René que je lui avais achetée cette année pour ses étrennes, et le portefeuille de Zabeth contenant 1200 francs.

Les Boches qui ont fait le bas du pays étaient moins terribles que ceux qui ont fait la route. Chez nous ils n’ont pas mis le feu ; ailleurs ils versaient de l’essence sur les lits, partout ; ils avaient des torches, des plaques de phosphore. Le coup était prémédité ; un train était arrêté au bas du pays ; ils sont montés par les vignes. Un autre convoi se trouvait sur la route ; un canon de 37 était installé à Corgoloin depuis les huit heures du soir.

Quand nous avons vu le feu chez Bligny, nous avons lâché les chevaux et les vaches ; nous nous attendions à brûler comme tout le monde ! Alors nous sommes allés, avec beaucoup de voisins, sous le gros cerisier du jardin, maman y compris sur un matelas avec édredon. A trois heures, ils nous ont envoyé un coup de canon de 37, et des balles traçantes ; nous étions tous à plat ventre, nous sommes restés dans le jardin jusqu’à six heures trente du matin. Vous voyez que nous avons passé une nuit d’épouvante, et depuis, jusqu’à la libération, nous ne vivions plus. Nous les avons vus fuir pendant plus de quinze jours, jour et nuit, ils ont pillé, ils nous ont pris deux vélos et un cheval…. Enfin, on respire maintenant !

J’oublie de vous dire qu’ils ont emmené vingt-quatre otages ; Louis était parmi eux. Le lendemain, les plus vieux sont rentrés, ainsi que Louis, Monsieur Rochet, Monsieur Perrier ; mais ils en ont gardé dix, et on ne sait pas ce qu’ils sont devenus : Gaston Chopin, Gaston Cartalade, Jean Bligny, Albert Lefils, André Barle etc..Ils ont même emmené des gosses de 14 ans, et presque tous étaient nus.

Estimons-nous heureux, qu’ici, nous n ‘ayons rien eu. Les obsèques des huit victimes ont eu lieu le mercredi ; il y avait le vicaire général de Dijon, huit prêtres ; la cérémonie s’est déroulée sur la place, et maintenant, on dit la messe dans l’ancienne chapelle de Missol.

Nous espérons avoir votre visite prochainement, dès que les trains reprendront leur marche normal . Beaucoup de personnes viennent avec des voitures militaires. Zabeth et Paul sont allés voir chez Lucien. Jean a pris le maquis depuis le mois de juillet comme docteur ; il a été malade, il a eu une pneumonie ; il a failli être fusillé par les Boches ! Et Henri, nous pensons souvent à lui .Espérons qu’ils ne feront pas de mal aux prisonniers, en attendant maintenant leur retour avec impatience.

Je termine en vous envoyant à tous nos affectueux baisers »

             Hilda Gilles