La doyenne du village
Pierine Roccon dans sa maison en mai 2004
Dans le Bulletin municipal n°5, nous avons fait connaissance avec Armand Julien, qui va allègrement sur ses 97 ans ! Quoi de plus normal de vous présenter la doyenne de notre village :PIERINE ROCCON, née Zuccolotto, qui a passé en mars dernier le cap des 93 ans !
En effet, Piérine Roccon est née le 18 mars 1911 à Lentiai, près de Belluno, dans le Nord-Est de l’Italie, au cœur des Alpes dolomitiques, dans une famille de petits paysans qui pratiquent la culture et l’élevage.
A l’image de ces nombreuses familles italiennes qui ont quitté l’Italie aux alentours des années 1930, pour fuir la précarité insupportable qui règne dans ce pays, l’enfance, l’adolescence et la jeunesse de Piérine, n’ont pas été un long fleuve tranquille !
La misère, la pauvreté et leur sœur jumelle la famine sont le cadre de vie de la jeune Piérine ! Tout d’abord, à l’âge de six ans, c’est le décès de la mère, et comme un malheur n’arrive jamais seul, deux de ses frères décèdent, l’un de faim, l’autre est écrasé par un camion ! Restent deux frères issus d’un second mariage, dont Guido Zuccolotto décédé à Comblanchien en 2002.
Piérine, l’aînée de la famille ne fréquente l’école que de 8 heures à 11 heures ;A cette heure, elle se rend régulièrement aux champs, pour porter à manger à son père qui travaille d’arrache-pied pour nourrir les siens.
Hélas ! Les tragédies familiales ne sont pas les seules à meurtrir cette famille ! En mai 1915, l’Italie, qui était restée neutre, déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie, alliée de l’Allemagne. Les troupes austro-hongroises envahissent le nord de l’Italie. Belluno, n’étant qu’à 60 à 70 kilomètres de la frontière autrichienne, la petite exploitation familiale tombe rapidement entre les mains de l’envahisseur qui réquisitionne le peu de matériel qui s’y trouve. Autre calamité ! On tente de survivre !
A l’âge de 13 ans, nécessité oblige, Piérine est placée chez des « bourgeois » à Milan .Elle se rend dans cette ville par le train. Sa belle-mère vient la chercher chaque semaine afin d’aider aux travaux des champs, de la fenaison, par exemple, pour assurer la nourriture du bétail les longs et rudes mois d’hiver.
Mais, nous voici à la fin des années 1920. A Belluno, l’éternel pauvreté continue, accentuée par la crise économique mondiale, qui pousse à l’exil de nombreuses familles que guette la famine, sans oublier les sbires de Mussolini qui poursuivent les opposants au régime ! En 1931, à Comblanchien, sur 741 habitants, on dénombre 209 personnes de nationalité italienne ! Les chefs de famille sont embauchés par les maîtres carriers ; c’est une main d’œuvre courageuse, et de qualité. Les célibataires sont nombreux, et, parmi ceux-ci se trouve le futur époux de Piérine, Erménégildo, appelé plus communément à Comblanchien Gildo, qui est arrivé en France en 1930. Une belle-sœur lui ayant annoncé qu’une place était vacante chez Civet-Pommier, Gildo travaille quelques jours dans cette entreprise, avant d’entrer définitivement à la Société Pagani et Cie, où il est embauché en tant que chauffeur. Il conduit un camion à bandages, hérité des Américains en 1918, dont les freins, en descendant le chemin des carrières, lui causent quelques soucis ! Il est occasionnellement, le chauffeur particulier de son employeur, Monsieur Hubert Pagani.
Dans le courant de l’année 1933, retour en Italie pour épouser le 27 juillet, Piérine Zuccolotto. Le couple arrive à Comblanchien en septembre. Leur premier domicile, c’est Ginese Pranovi, lui aussi italien, qui leur offre avec un lit, et un poêle dans une seule pièce ! Quelques mois le jeune couple emménage dans un logement de deux pièces situé dans un bâtiment sordide et insalubre, comportant rez- de- chaussée et étages, dénommé « la caserne », situé prés de l’église, et appartenant à Monsieur Pagani qui y loge ses ouvriers.
En mai 1934, un logement plus décent, spacieux et surtout plus salubre, libéré par un locataire, fait l’affaire du jeune couple : c’est dans l’enceinte de l’usine de sciage de Pagani et Cie, route de Corgoloin, à la « scie » comme l’on dit couramment à Comblanchien, là où se trouvent ateliers et bureaux, et Piérine se souvient de ses voisins le Pépère et la Mémère Collin ( Léon et Jeanne), des bons moments passés avec ces braves gens , très estimés au village.
Pièrine et Gildo Roccon obtiennent, dès leur première demande, la nationalité française en 1936. Se considérant, français à part entière, dans cette France nationaliste et « franchouillarde » de l’entre -deux guerre,aux prises avec des difficultés économiques, leur nouvelle nationalité ne les met pas à l’abri des quolibets insultants ou autres sarcasmes tels que « sales macarons ( ou macaronis ), sous-entendu « qui viennent manger le pain des Français ! ».Insultes blessantes pour cette communauté qui a fui la misère, pour certains le fascisme, et qui a cru trouver chez sa grande sœur latine, un réconfort à la fois moral et matèriel. Malheureusement, en 1940, l’attitude antinationale de quelques familles italiennes attisera encore ce sentiment de haine à l’égard de cette communauté !
Malgré cela Piérine et Gildo suivent leur bonhomme de chemin, une vie qui s’écoule entre droiture et simplicité, lui, fidèle ouvrier mécanicien à la maison Pagani ,elle, couturière à domicile, et employée dans les vignes, entre autres, avec, en 1936, la naissance de leur fille Denise.
Au début des années 1960, l’heure de la retraite approchant, le couple achète une maison dans la grande rue, et c’est là, dans un intérieur coquet et confortable, entourée de souvenirs familiaux, et bien sûr de la photo de Gildo, décédé en septembre 1997 à l’âge de 89 ans, que Piérine coule des jours heureux, bien mérités, après une jeunesse tourmentée et misérable.
Pour terminer, je suis sûr que les habitants du village se joindront à moi, pour souhaiter à Piérine, qui porte très bien ses 93 ans, bonne santé naturellement, et encore longue vie parmi nous !
Ah ! j’oubliais ! En 1939-40, la République Française a décerné à Gildo Roccon, la médaille commémorative 39-45 pour services rendus à sa patrie d’adoption. Gildo était fier de cette attribution, pour qu’on ne l’appelle plus un macaron !
Jacky Cortot